Lumiere

Exposé introductif pour la soutenance d'habilitation à diriger des recherches en Sciences de l’éducation de 

Jean-Claude Régnier

Maître de conférences à l’Institut des Sciences et des Pratiques d’Éducation et de Formation de l’Université Lumière Lyon 2 

Bloch

sous l'intitulé :

Auto-évaluation et autocorrection dans l'enseignement des mathématiques et de la statistique.

Entre praxéologie et épistémologie scolaire.

 du :

mercredi 13 décembre 2000 à 14 heures

Salle des Conseils Le Portique, Université Marc Bloch

14, rue René Descartes, 67000 Strasbourg

par devant le jury  présidé par

François Pluvinage, Professeur à l’Université Louis Pasteur Strasbourg, UFR de mathématiques

et constitué par les membres

 Jean-Marie De Ketele, Professeur à l’Université de Louvain (Belgique), Titulaire de la chaire UNESCO en Sciences de l’éducation.

Michel Develay, Professeur à l’Université Lyon 2, Directeur de l’I.S.P.E.F.

 Jean-Louis Flecniakoska, Professeur à l’Université Marc Bloch Strasbourg, Directeur de l’UFR Arts.

 Jean-Louis Piednoir, Inspecteur général de mathématiques, statisticien.

 Maurice Sachot, Professeur à l’Université Marc Bloch Strasbourg, Directeur de l’UFR P.L.I.SE (Directeur de recherche de l’HDR en vertu du règlement de l’UMB)

 Gérard Vergnaud, Directeur de recherche au CNRS, Doctor Honoris Causa de l’Université de Genève

 

Introduction

 Une soutenance de HDR est un moment fort d'une rencontre intellectuelle. Pour en arriver à sa réalisation, il nous a fallu trouver le moyen de permettre à nos pairs, qui ont déjà parcouru un chemin plus avancé que nous, " de reconnaître notre niveau scientifique, le caractère original de notre démarche dans les domaines de la didactique et de la pédagogie des mathématiques et de la statistique, et des sciences de l’éducation, de notre aptitude à maîtriser une stratégie de recherche suffisamment large dans ces domaines, et, enfin, de notre capacité à encadrer de jeunes chercheurs ", selon les termes de la définition de l’habilitation à diriger des recherches.

Pour ce faire, nous avons alors constitué un dossier documentaire à partir d’écrits que nous avons produits après notre thèse. En cet instant particulier, nous nous rappelons ce jour du 4 juillet 1983 où, ici même à Strasbourg, à proximité de ce lieu, nous avons soutenu notre thèse de doctorat en didactique des mathématiques. Celle-ci portait sur une étude didactique d'un test autocorrectif en trigonométrie. Elle avait été dirigée par le Professeur Georges Glaeser, auquel nous tenons à rendre un hommage particulier. Nous le remercions d'avoir su nous guider et nous accompagner dans cette formation doctorale visant le développement de l’autonomie du chercheur. Sans cette formation, nous n'aurions pu prétendre un jour soutenir cette HDR

Revenant au dossier documentaire, nous avons structuré l’ensemble des écrits rapportés en cinq catégories. Nous les avons caractérisées par les étiquettes suivantes :

1

 Enseignement et la question du tâtonnement expérimental de l’apprenant

 2

 Autonomie & Évaluation, Auto-évaluation & Autocorrection

 3

 Didactique des mathématiques

 4

 Statistique : objet d’enseignement, objet d’apprentissage, outil méthodologique, discipline-outil, discipline-objet

 5

 N.T.I.C. appliquées à la formation, à l’éducation et à la recherche en sciences de l’éducation

C’est aussi selon cette catégorisation que nous avons classé les travaux des étudiants après l’analyse de nos activités d’encadrement d’études et de recherches.

Nous avons accompagné ce dossier documentaire d’une note de synthèse. Celle-ci est organisée en deux parties.

Dans la première parie, nous avons cherché à reconstruire un itinéraire intellectuel en tension entre la conviction militante de l’enseignant et le doute scientifique du chercheur dans le champ de l'enseignement des mathématiques et de la statistique. Nous y avons présenté nos préoccupations relatives aux questions liées à l’autocorrection, l’auto-évaluation, l’instrumentation, la conceptualisation et l’autonomisation.

Dans la seconde partie, nous avons tenté de retisser le réseau des notions précédentes. Nous les avons intégrées à la thématique de la formation à et par l’autonomie des sujets apprenants en mathématiques et en statistique dans les contextes scolaire et universitaire. Nous avons conçu cette formation comme une opérationnalisation pédagogique et didactique des processus d’instrumentation, de conceptualisation et d’autonomisation. Nous avons aussi exposé notre avancée vers un questionnement ouvert sur la contribution au développement de deux domaines connexes. Le premier est celui de la pédagogie et de la didactique de la statistique. Le second concerne celui des nouvelles technologies de l’information et de la communication appliquées à la formation, à l’éducation et à la recherche dans le domaine des sciences de l’éducation. En effet ces TIC fournissent des instruments d’aide à l’analyse, au traitement et à l’interprétation des informations. Elles sont aussi des objets et des instruments de formation et d’éducation.

" Une note de synthèse est considérée comme un travail hybride" ainsi que le précise le Pr. Georges Vigarello, qui fût président de la commission de la 70ème section du CNU. Notre note porte cette caractéristique. La reconstruction de notre itinéraire intellectuel s’est appuyée sur une logique de la "multi-référentialité". Cette logique nous a permis de mettre en évidence la convergence de diverses préoccupations par l’hybridation des études et recherches menées selon les points de vue de professeur de mathématiques en lycée, de didacticien, de statisticien et d’enseignant-chercheur en sciences de l’éducation.

Nous avons cherché à rendre compte de l’étendue de nos préoccupations et de nos travaux réalisés.

L’hybridité de notre travail résulte du fait que nous nous sommes intéressé simultanément au champ disciplinaire des mathématiques et de la statistique, et à celui de la pratique professionnelle de l’enseignement. C’est le sens du choix des deux cadres d’appui : la praxéologie et l’épistémologie scolaire.

La praxéologie comme science de l’action humaine, discours scientifique sur l’ensemble des praxis en tout genre et tous domaines.

L’épistémologie scolaire comme méta-regard sur les contenus d’enseignement, une recherche de leur identité profonde au sens de Michel Develay. Une épistémologie à usage scolaire, de questions soulevées à propos de l’école, comme le note François Pluvinage dans son pré-rapport.

Cette hybridité de notre travail est, pour nous, le reflet d’une conduite inscrite dans un schéma proche de celui de Donald A. Schön, à propos du praticien réflexif, (Schön 1994 p.94) qu’il décrit en ces termes " Quand quelqu’un réfléchit sur l’action, il devient un chercheur dans un contexte de pratique. Il ne dépend pas des catégories découlant d’une théorie et d’une technique préétablies mais il édifie une nouvelle théorie du cas particulier. Sa recherche ne se limite pas à une délibération sur les moyens qui dépendent d’un accord préalable sur les fins. Il ne maintient aucune séparation entre la fin et les moyens, mais définit plutôt ceux-ci, de façon interactive, à mesure qu’il structure une situation problématique. Il ne sépare pas la réflexion de l’action, il ne ratiocine pas pour prendre une décision qu’il lui faudra plus tard convertir en action. Puisque son expérimentation est une forme d’action, sa mise en pratique est inhérente à sa recherche. Ainsi la réflexion en cours d’action et sur l’action peut continuer de se faire même dans des situations d’incertitude ou de singularité, parce que cette réflexion n’obéit pas aux contraintes des dichotomies de la science appliquée."

Nous pensons que, dans une perspective pédagogique et didactique, notre contribution la plus significative se situe alors dans nos apports à la question de l’instrumentation au service de l’autonomisation du sujet . C’est le premier point que nous souhaitons aborder. Le second point sera alors ancré sur la question de la contribution d’une formation disciplinaire particulière, celle acquise en mathématiques et en statistique, en tant qu’instrumentation concourant au développement de l’autonomie du sujet-apprenant.

  

Abordons la question de l’instrumentation au service de l’autonomisation du sujet.

 

Depuis 1972, d’un point de vue de pédagogue, nous n’avons cessé de questionner les processus enseigner et apprendre, en particulier, en puisant à la source des idées promues par le courant de la pédagogie de l’École Moderne-Freinet. Celles-ci traduisaient le mieux nos intuitions et nos représentations pédagogiques.

Dès 1975, nous avons mis en œuvre, de manière que nous pensons réellement pionnière en lycée, des dispositifs pédagogiques et didactiques qui intégraient les techniques et les instruments adaptés de la pédagogie Freinet :

Le caractère pionnier pourrait être mesuré à l’aune du nombre de collègues professeurs de mathématiques qui travaillaient au sein de l’ I.C.E.M. et à celui des publications dont nous disposions à cette époque. La réaction institutionnelle pourrait constituer un autre indicateur.

Néanmoins, nous n’avons jamais conduit notre travail pédagogique en solitaire. Nous avons constamment cherché à le confronter à la réflexion critique au travers des activités que nous menions au sein des groupes d’étude de l’I.C.E.M., des I.R.E.M. mais aussi de l’Université.

Aujourd’hui enseignant-chercheur, dans notre activité d’enseignement universitaire, nous continuons à nous appuyer sur ces références conceptuelles et instrumentales pour élaborer nos séquences didactiques.

Nous avons cherché à marquer cette orientation dans sa réalisation particulière de notre praxis, en intitulant notre note de synthèse : Auto-évaluation et autocorrection dans l'enseignement des mathématiques et de la statistique. Cette formulation thématique nous a permis de pointer en premier lieu deux objets récurrents de notre itinéraire intellectuel : l’autocorrection et l’auto-évaluation, puis l’action qui les a mobilisés : l’enseignement, et enfin un cadre disciplinaire qui canalise et donne un contenu à cette action : les mathématiques et la statistique. Nous désignons ainsi ce à quoi nos travaux ont le plus contribué et que nous avons, en particulier, investi dans les livrets autocorrectifs et auto-évaluatifs de statistique destinés aux étudiants.

Cependant, il nous a semblé intéressant de situer l’autocorrection et l’auto-évaluation dans la catégorie plus générale de l’instrumentation. Cette instrumentation est à concevoir dynamiquement, tant du point de vue du sujet enseignant que du sujet apprenant. Replacée dans les champs de la formation et de l’éducation, elle est alors mise au service de l’autonomisation du sujet. Nous désignons par sujet aussi bien l’enseignant adulte que l’apprenant adolescent ou adulte. Ainsi a ré-émergé une finalité de l’action de l’enseignant-chercheur : l’autonomie du sujet.

Notre conception de l'autonomie s'écarte radicalement de l'idée du " si je veux, quand je veux, où je veux. " Elle est empreinte de celle qui caractérise la liberté de chaque être humain qui ne se réduit pas au respect des limites de territoire mais qui commence avec la maîtrise de soi selon une certaine hiérarchie de valeurs partagées. Si nous conservons la dimension d'un rapport singulier du sujet à la loi, que traduit l'étymologie grecque des deux composants : auto et nome (nómos — paroxyton), nous n'en écartons pas moins radicalement la perspective solipsiste en réaffirmant la dimension sociale et culturelle de la loi qui régit les rapports humains. En nous risquant à une autre interprétation étymologique, nous faisons alors référence à l'autre nomós — oxyton — qui renvoie à l'idée du partage. Ainsi, pour nous, l'autonomie est l’hybridation d'une prise en compte personnelle d'une loi et de son partage avec la communauté humaine à laquelle le sujet appartient. Cette autonomie est acquise par le sujet humain au travers de son expérience sociale et culturelle réfléchie, mais surtout par l'éducation tant familiale que scolaire. C'est l'autonomie qui permet à la fois de bien vivre soi-même et de bien vivre ensemble. C'est l'autonomie du sujet qui intègre circonstanciellement le guidage ou l'accompagnement d'autrui qu'il soit un aîné, un pair ou un maître.

Nos préoccupations intellectuelles se sont largement centrées sur la question du développement de l’autonomie — comme un construit toujours à construire.— du sujet-apprenant. Cependant il est clair que pour l’étayage de l’autonomisation du sujet-apprenant , le sujet-enseignant est conduit à développer lui-même son autonomie tout comme d’ailleurs le sujet-chercheur. C’est dans cette perspective que l’instrumentation concerne l’apprenant, l’enseignant et le chercheur.

Dans notre contexte, l’instrumentation est un processus à plusieurs facettes. Celui-ci concerne un sujet-enseignant qui construit des instruments pédagogiques et didactiques et qui les met à la disposition d’un sujet-apprenant. Il concerne aussi le sujet-apprenant qui s’approprie ces instruments.

Le terme d’instrumentation peut encore désigner le résultat, c’est à dire, l’ensemble des instruments mis à la disposition à des fins pédagogiques.

Dans cette acception, instrumenter conserve l’idée de doter d’instruments un sujet. Nous le distinguons clairement de instrumentaliser qui consisterait à considérer ce sujet comme un instrument. L’instrument correspond d’abord au sens commun " d’objet fabriqué servant à exécuter quelque chose, à faire une opération " mais aussi à celui " d’objet utilisé pour une fin déterminée ".

Rapporter à l’enseignement des mathématiques et de la statistique, l’instrumentation en tant qu’ensemble, est constituée, par exemple et sans exhaustivité, par les instruments de mathématiques habituels tels que le compas, l’équerre, les tables de logarithmes, les machines à calculer, etc. ou encore le couple feuille de papier millimétré et crayon pour obtenir la représentation graphique d’une courbe ou d’un histogramme, enfin les manuels.

Pour ce qui touche davantage à nos apports, nous ajoutons les instruments pédagogiques et didactiques que sont les livrets autocorrectifs, les grilles d’auto-évaluation, les plans et les bilans de travail, le journal de classe, en d’autres termes les instruments de travail de l’enseignant et de l’apprenant.

Nous avons consacré une part importante de nos études à l’élaboration de ces instruments, à leurs conditions de mise en œuvre et d’appropriation, à l’évaluation des effets de l’instrumentation sur l’autonomisation dans le contexte de la salle de classe. Entre autres, nous pourrions, dans le cadre du lycée, citer les contributions :

Ainsi d’une certaine manière dans nos travaux, nous avons essayé de mieux cerner les compétences à développer et les connaissances à acquérir pour que,

Nous insistons sur le fait que l’instrumentation n’est pas une fin en soi mais un moyen. Par conséquent, il s’agit d’user des instruments pour parvenir au but formatif visé et non pour s’en tenir à la maîtrise d’un mode d’emploi.

Dans notre note de synthèse, nous avons cherché à expliciter les filiations auxquelles nous pourrions rattacher nos conceptions pédagogiques et didactiques en relation à cette de l’instrumentation au service de l’autonomisation. C’est dans ce but que nous avons évoqué les conceptions pédagogiques développées par Célestin Freinet, John Dewey, Janusz Korczak, Georges Polya ou Martin Wagenschein.

Sans faire de la pédagogie et de la didactique, une application directe de la psychologie, nous avons tiré parti de la perspective psychologique de Vygotski. Les notions d’instrumentation et d’instrument y trouvent une place et un rôle en relation avec ce que nous concevons en pédagogie et en didactique.

A ce propos, Vygotski écrit (Schneuwly, Bronckart, 1985 p. 39-47) : " Dans le comportement de l’homme, nous rencontrons toute une série d’adaptations artificielles qui vise à contrôler les processus psychiques. Par analogie à la technique, ces adaptations peuvent être définies conventionnellement comme "instruments psychologiques". " Fondant cette comparaison sur la similitude entre le rôle des adaptations dans le comportement et celui de l’instrument dans le travail, il complète : " Les instruments psychologiques sont des élaborations artificielles ; ils sont sociaux par nature et non pas organiques ou individuels ; ils sont destinés au contrôle des processus du comportement propre ou de celui des autres, tout comme la technique est destinée au contrôle des processus de la nature. ".

Dans cette catégorie des instruments psychologiques, Vygotski place le langage, les diverses formes de comptage et de calcul, les moyens mnémotechniques, les symboles algébriques, les œuvres d’art, l’écriture, les schémas, les diagrammes, les cartes, tous les signes possibles, etc.

Vygotski distingue l’instrument psychologique et l’instrument technique par la direction de l’action. " Le premier s’adresse au psychisme et au comportement, écrit-il, — (Schneuwly, Bronckart, 1985 p. 43§13)— tandis que le second (…) intermédiaire entre l’activité de l’homme et l’objet externe, est destiné à obtenir tel ou tel changement de l’objet même. L’instrument psychologique ne provoque pas de changement dans l’objet ; il tend à exercer une influence sur le psychisme propre (ou celui des autres) ou sur le comportement. Il n’est pas un moyen d’agir sur l’objet. Dans l’acte instrumental se manifeste par conséquent une activité relative à soi-même et non à l’objet. "

Ainsi, prenons l’exemple d’un plan ou d’un bilan de travail, il s’agit d’instruments techniques de travail de notre ingénierie pédagogique. Nous pourrions dire que, du point de vue de l’enseignant, il s’agissait déjà d’instruments psychologiques. Mais pour l’élève qui les recevait, rien ne pouvait prévoir qu’ils ne seraient autre chose que des instruments techniques, agissant en stimuli comme tout instrument. Leurs caractéristiques techniques et matérielles n’en faisaient pas immédiatement un instrument psychologique.

Ainsi nous avons cherché au travers des dispositifs élaborés à créer des conditions favorables à la transformation des instruments techniques en instruments psychologiques dans le contexte quotidien même de la classe et de l’enseignement des mathématiques et de la statistique. En effet, c’est bien l’efficience des instruments psychologiques que nous visions par nos dispositifs pédagogiques. Avec Vygotski, nous considérons que leur usage (Schneuwly, Bronckart, 1985 p. 44§16) : "augmente et élargit énormément les potentialités du comportement, rendant accessibles à chacun les résultats du travail des ancêtres. "

Rappelons qu’au lycée, les sujets auxquels nous adressions ces instruments, étaient des adolescents. Aujourd’hui à l’université, ils sont des adultes. L’instrumentation psychologique dont ils disposent, est le fruit de plus de 15 ans d’expérience de vie sociale scolaire et hors de l’école. Ils sont parvenus à un état de développement psychique et physique avancé.

À ce jour, se dégage une problématique à laquelle nous souhaiterions nous confronter par l’intermédiaire de travaux que nous encadrerions.

Ainsi, dans une perspective pédagogique, comment les caractéristiques psychiques des sujets — l’enfant, l’adolescent et l’adulte — et les caractéristiques contextuelles des situations d’enseignement-apprentissage dans lesquelles ils sont impliqués — école, collège, lycée, université — peuvent être prises en compte dans l’élaboration et la mise en œuvre des instruments pédagogiques et didactiques par l’enseignant, afin d’accroître leur efficience dans le sens de la méthode instrumentale vygotskienne ?

Toujours dans une pédagogique, comment pourrions-nous intégrer la dimension culturelle ? Dans ce sens, la perspective de J. Bruner est instructive car elle intègre la dimension culturelle impliquée par le recours même à des instruments. (Bruner 1997) Bruner attribue à ce qu’il nomme la psychologie populaire, un statut d’instrument de la culture . Son propos (Bruner 1970 p. 7-8) est fort incitateur quand il insiste sur la spécificité humaine de la possibilité de recourir aux instruments de pensée et de communication pris dans la " boîte à outils culturels " Elle est tout autant encourageante, quand il met l’accent sur la possibilité d’exercer, très tôt, la capacité à engendrer des hypothèses liées aux contextes pour guider notre action.

Notre question s’enrichit alors de savoir quelle signification prend ce processus d’assistance, de guidage, d’accompagnement, dans la médiation adolescentó adulte, adulteó adulte, dans le champ de la formation et de l’éducation. Comment opérationnaliser cette médiation culturelle dans le cadre de l’enseignement qui nous préoccupe ?

Aborder ces problématiques enrichira le travail que nous avons déjà mené sur la dialectique instrumentationó autonomisation. Cela nous permettra d’approfondir le travail sur le fait que les documents tels que les plans et bilans de travail, les livrets autocorrectifs ou les grilles d’auto-évaluation, sont des instruments techniques dont l’usage s’intègre à une activité d’apprentissage de concepts scientifiques de mathématiques et de statistique dans le cadre d’un enseignement scolaire ou universitaire. Cet usage amène le sujet apprenant à activer les processus même de planification, d’autocorrection et d’auto-évaluation, puis à les intérioriser comme des instruments psychologiques participant de son développement psychique. Nous espérons pouvoir recueillir un éclairage supplémentaire sur le développement des concepts non spontanés tels que les concepts scientifiques, dans l’esprit de l’adolescent et de l’adulte. C’est que nous viserions en nous confrontant à la question centrale suivante :

Chez un adolescent ou un adulte ayant atteint un certain niveau de maturité des fonctions psychiques déterminées [attention, mémoire, pensée, langage, volonté, anticipation], quel rapport peut-on établir entre les processus d’apprentissage proprement dit, et les processus de développement interne des concepts scientifiques dans la conscience d’un sujet ?

Quels instruments sont requis ? Par quelles médiations culturelles ?

Abordons maintenant nos apports relatifs à l’étude de la contribution d’une formation disciplinaire particulière, celle acquise en mathématiques et en statistique, en tant qu’instrumentation concourant au développement de l’autonomie du sujet-apprenant

 

Nous avons cherché à re-tisser le réseau des concepts et notions que nous avons mobilisés, même si cette entreprise demande à être encore poursuivie pour affiner le maillage. Ainsi avons-nous tenté de préciser le sens que nous donnions aux notions d’éducation, de formation et d’enseignement lorsqu’elles opèrent dans le champ des mathématiques et de la statistique. Le schéma de la page 134 [Figure 1.3-1 p.134] vise à présenter leur tissage.

figure 1.31

Figure 1.3-1 : Schématisation de l'intégration de l'ensemble des références convoquées autour éducation, formation, enseignement, mathématiques et statistique, autonomie. [p.134]

Questionner notre action d’enseigner a requis l’inscription de nos thématiques et problématiques dans le champ de la didactique des mathématiques et de la statistique ainsi que dans celui de la pédagogie, dans la mesure où comme l’écrivent Michel Develay et Jean-Pierre Astolfi (Astolfi, JP, Develay, M. 1989) " La réflexion didactique permet (...) de traduire en actes pédagogiques une intention éducative. (...) L’enseignant [est] alors un éternel artisan de génie qui doit contextualiser les outils que lui propose la recherche en didactique en fonction des conditions de ses pratiques. "

Ce questionnement nous a entraîné vers une profusion de notions pour expliciter notre praxis. Nonobstant, dès le début, comme nous l’avons déjà dit, émergèrent les notions d’autocorrection, d’auto-évaluation et d’apprentissage fondé sur le tâtonnement expérimental. Celles-ci constituèrent les principaux objets de nos recherches. Les résultats qui sortirent de nos investigations, apportèrent quelques éclairages dans le cadre de la didactique et de la pédagogie des mathématiques et de la statistique. Nous avons explicité un modèle d’organisation d’une séquence d’enseignement-apprentissage intégrant ces processus. Nous en rendons compte par le schéma de la page 196 [Figure 2.2-4 p.196] :

Figure 2.2.4

Figure 2.2-4 : Schéma d’une séquence d’enseignement-apprentissage de mathématiques intégrant le tâtonnement expérimental de l’apprenant [p.196]

 Nous avons développé un instrument d’analyse des situations d’enseignement-apprentissage que nous nommons le triangle pédagogico-didactique complexifié [Figure 2.2-3 p.193]. Nous l’avons présenté à la page 193.

Figure 2.2.3

Figure 2.2-3 : Schéma d’un triangle pédagogico-didactique complexifié. [p.193]

Nous avons essayé de mieux cerner les notions d’esprit statistique et d’éducation statistique en rapport aux instruments psychologiques visés par l’enseignement et dont l’interprétation statistique en constitue un point fort. Nous avons cherché à mieux cerner le sens du raisonnement statistique et l’intégration des opérations d’induction, de déduction et d’éduction.

La formation de l'esprit statistique s'inscrit dans une dynamique qui permet aux êtres humains de se confronter aux obstacles — épistémologiques ou autres — au développement de la statistique en tant que science. Elle intègre une attitude de vigilance dans l'usage instrumental de la statistique, déjà évoqué en 1836 par Cournot.

Au travers de nos écrits, nous avons explicité notre conception de l'esprit statistique et de sa formation. L'esprit statistique n'est pas un don. Il n’est pas non plus le résultat du développement naturel de l'être humain.

La formation de l'esprit statistique se caractérise aussi par la nature du rapport à l'incertitude et à l'erreur. Nous considérons ces dernières comme inhérentes à tout acte de prise de décision. La formation de l'esprit statistique est instrumentée par une conceptualisation du risque encouru dans une prise de décision et par des modélisations de son contrôle. Il s’agit là de ne plus laisser l'exclusivité à une compréhension ou une explication fondées sur une conceptualisation spontanée du hasard et du déterminisme, voire du fatalisme.

Par le schéma de la page 138 [Figure 1.3-3 p.138], nous tentons de résumer quelques facteurs constituant la formation de l'esprit statistique

Figure 1.3-3

Figure 1.3-3 : Quelques facteurs constituant la formation de l'esprit statistique [p.138]

 La formation de l'esprit statistique conduit à renoncer à l'usage systématique de l'idée de vérité pour chercher à maîtriser celle de vraisemblance.

Dans un écrit publié sous le titre De la vérité autoproclamée à la vraisemblance reconnue, nous nous sommes confronté à deux questions issues des échanges avec les étudiants  :

Nous y avons apporté des réponses d'ordre instrumental. Les outils conceptuels, techniques ou méthodiques de la statistique sont mis à la disposition de l'apprenant pour qu'il les acquière et les conceptualise afin de les transformer en instruments psychologiques actualisables dans le contrôle d'une classe de prises de décision en situation incertaine.

En filigrane de ces propos, figure la sollicitation de trois modes de raisonnement que sont la déduction, l'induction et l'éduction. Développer l'esprit statistique consiste en leur acquisition et en leur manipulation consciente pour conduire un raisonnement statistique et étayer l'activité d'interprétation statistique .

Pour reprendre une idée exprimée par Brigitte Escofier et Jérôme Pagès (Escofier & Pagès 1990 p.217-218), nous caractérisons l’interprétation statistique selon trois directions :

Figure1.3-6

Figure 1.3-6 : Interpréter, c'est... [p.141]

Nous avons cherché à systématiser ces notions en les emboîtant à la façon des poupées gigognes et de manière intégrative, relativement au pôle de l’autonomie du sujet. Pour en rendre compte, nous avons recouru aux schémas des pages 113 et 225 [ Figure 2.3-2 p.113] [ Figure 4.3-1 p.225] pour tenter de replacer le processus d’autonomisation et l'autonomie du sujet comme une finalité de l'élévation des niveaux de conceptualisation et de formation dans le domaine des mathématiques et de la statistique.

Figure 2.3-2

Figure 2.3-2  : Schématisation de l'articulation des thématiques, des contextes et des finalités. [p. 113]

Figure 4.3-1

Figure 4.3-1 De la formation en statistique à l'autonomie du sujet [p.225]

La perspective de nos propos précédents intègre le processus d'autonomisation en concevant le développement de l'autonomie du sujet à partir d'activités sollicitant des conduites autonomes dans la résolution de problèmes méthodologiques faisant appel à la statistique. Elle y intègre aussi un processus de conceptualisation sous-jacente à l'action. Nous donnons une place et un rôle important à l'interprétation statistique dans le développement de l'éducation statistique. Nous considérons que le développement de la capacité à réaliser une interprétation statistique requiert une élévation du degré d'autonomie du sujet, tant vis à vis des connaissances statistiques que de l'enseignant. Dans le cadre qui nous intéresse, un seuil décisif du développement de l'autonomie est franchi quand l'étudiant est capable de transférer ses connaissances en statistique lors de l'activité de modélisation pour des travaux d'étude conduisant à l'élaboration de mémoire. Une question centrale demeure de savoir comment une formation en statistique acquise dans les conditions d'enseignement que nous avons décrites, et attestée par la réussite à une épreuve écrite de validation universitaire, peut conduire l'étudiant à une utilisation différée de ses connaissances à sa propre initiative. À l'heure actuelle, concernant ce phénomène, les données recueillies auprès d'étudiants au moyen d'entretien, nous laissent penser que, si effectivement un palier d'autonomie a été franchi, il n'en demeure pas moins qu'un nouvel étayage doit être fourni. En particulier, cet étayage peut être apporté par l'enseignant chargé de diriger l'élaboration du mémoire afin de faciliter le transfert de connaissances statistiques.

Le schéma de la page 142 [Figure 1.3-7 p.142] vise à replacer la question de l'interprétation statistique telle qu’elle est soulevée par les étudiants dans le parcours de formation et celle du rôle de l'enseignement, au sein du réseau notionnel qui relie la formation statistique à l’éducation statistique.

Figure 1.3-7

 Figure 1.3-7 : Schématisation de la place de la question de l'interprétation soulevée par les étudiants dans le parcours de formation et du rôle de l'enseignement. [p.142]

En fait, avec Vygotski, nous poursuivons le projet d'un enseignement de mathématiques et de statistique qui (Vygotski 1985 p.253) " apporte plus que ce qu'il apporte immédiatement " c'est à dire un enseignement qui, non seulement, permettrait à l'apprenant d'acquérir des habiletés, mais qui lui donnerait " la possibilité d'aller bien au-delà des résultats immédiats de l'apprentissage. "

En d’autres termes, c’est le but que nous avons fixé au propos de la seconde partie de la note de synthèse, de donner un sens à la formation à et par l’autonomie des sujets apprenants dans les contextes scolaire et universitaire, en mathématiques et en statistique.

Dans la perspective de l’épistémologie scolaire, nous avons abordé la question de la statistique. Nous avons tenté une analyse et une caractérisation de cette discipline dans une logique formatrice.

 En guise de conclusion

 Un travail de synthèse conduit inévitablement à des mises en question du travail passé. Il est aussi l’occasion de se projeter vers le nouvel horizon qui s’est ouvert.

Par exemple, nous souhaiterions donner une orientation aux travaux futurs que nous conduirons ou que nous encadrerons, qui intègre davantage les T.I.C.. C’est le sens que nous avons donné au quatrième chapitre de la seconde partie de la note de synthèse. En abordant la question des T.I.C. dans la formation à et par l’autonomie en relation avec la formation en statistique et la formation à la recherche en sciences de l'éducation, nous avons cherché à communiquer notre conception de l’informatique, de ses utilisations pédagogiques et de ses applications à la recherche.

Pour nous, l'informatique est un outil produit par l'homme, qui doit rester au service de tous et devenir, chaque jour davantage, accessible au plus grand nombre possible d'êtres humains, comme l'est devenu le téléphone, la télévision ou l'automobile. Nous cherchons à prendre part aux débats d’idées sur l’évolution technologique galopante, où se mêlent tout à la fois les finalités de l'économie de marché, celles de l'amplification des capacités humaines, et les représentations sociales d'un progrès technique inéluctable auxquels nul ne peut échapper à l'orientation imposée. Chacun à sa mesure doit pouvoir acquérir les instruments psychologiques qui lui permettront d'exercer un contrôle sur cette orientation, et de participer à sa pluralisation en résistant à la monopolisation des médias. Pour ce qui est du domaine particulier dans lequel nous travaillons, il est clair que nous nous opposons au tout informatique de la même façon qu'au rien informatique. La question de la technicisation de l'accès à la connaissance au travers des T.I.C.E. doit être abordée dans le champ des sciences de l’éducation.

Si nous n'y prenons garde, l'usage des TICE générera des facteurs d'exclusion sociale et culturelle pour ceux qui ne pourront en bénéficier, alors même que sa finalité déclarée s'inscrit dans une perspective d'intégration socioculturelle.

Nous pensons que le degré de formation à l'usage des technologies de l'information et de la communication constituera le facteur de discrimination le plus déterminant. C’est à cette question que nous nous rendons attentif. Nos tentatives de mise en ligne des supports de cours au sein d’un site que nous avons créé, les cours que nous avons bâtis, et les travaux de recherche de maîtrise que nous avons encadrés, participent du projet de cette formation.

Pour achever cette conclusion, nous réaffirmons la conscience de l’extrême modestie de notre apport à la compréhension et à l’instrumentation de l’action d’enseigner, centrée sur l’autonomisation du sujet apprenant en milieu scolaire ou universitaire. Cependant nous pensons aussi que nos réflexions susciteront des travaux de recherche, dans le cadre des sciences de l’éducation, pour contribuer au progrès de la connaissance relative à l’enseignement des mathématiques et de la statistique.

Références bibliographiques 

Chaléat, Ph., Charnay, D, (2000) Programmation,HTML, JavaScript, Paris : Editions Eyrolles, 452 p.

Schneuwly, B., Bronckart, J.P., (Eds) (1985) Vygostky aujourd’hui, Neuchatel-Paris : Delachaux & Niestlé éd., 237 p.

Schön, D.A., (1994) Le praticien réflexif : à la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel, Montréal : Les Éditions Logiques, 418 p.

 

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