Symposium Franco-Canadien

décembre 1998

La formation des enseignants et des formateurs aux technologies de l'information et des réseaux

ARDEMI - Écully 69 France

http://www.ardemi.fr

 

LE QUESTIONNEMENT D'UN UNIVERSITAIRE SUR LES COMPETENCES REQUISES DANS LE DOMAINE DES TIC EN TANT QUE ENSEIGNANT-CHERCHEUR EN SCIENCES DE L'ÉDUCATION

Jean-Claude Régnier

Département de Sciences de l'éducation, Université Lumière Lyon2- Lyon-France

regnierj@univ-lyon2.fr

http://perso.wanadoo.fr/jean-claude.régnier

 

De diverses manières, les formations dispensées dans le cadre des sciences de l'éducation sont à l'évidence interpellées par le développement des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC), a fortiori quand celles-ci sont considérées comme nouvelles (NTIC).

Ces NTIC peuvent constituer des objets de recherche en ou pour l'éducation, ou encore des objets d'enseignement, mais aussi des outils de recherche ou d'enseignement. Certes ces perspectives sont explorées depuis de nombreuses années et des travaux nous apportent des résultats, mais la mise à disposition sur le marché de matériels informatiques performants et accessibles à des budgets plus modestes qu'il y a une dizaine d'années, ainsi que la planification institutionnelle du développement des Nouvelles Technologies Éducatives (NTE) en milieu scolaire et universitaire, sollicitent plus impérativement que jamais, ce champ disciplinaire.

En contextualisant cette question de TIC dans les pratiques situées de la formation, de nombreuses interrogations surgissent. En ce qui nous concerne, au sein du département des Sciences de l'Éducation de l'Institut des Sciences et des Pratiques d'Éducation et de Formation (ISPEF) de l'Université Lyon2, nous souhaitons fortement participer à ce mouvement du développement des NTE.

Des mesures pratiques, traduisant les objectifs généraux de l'université Lyon2, ont été prises par le centre de ressources informatiques (CRI) :

Face à cette offre, nous trouvons les utilisateurs qui, pour la grande majorité, en demeurent au stade potentiel et qui se sentent plutôt démunis et perdus devant ces outils et la technicité à laquelle ces derniers font appel.

Pour les enseignants-chercheurs qui encadrent des séminaires de recherche, se posent alors une question cruciale, celle de la guidance pédagogique et mise en réseau des étudiants dans des activités de recherche par l'usage des (N)TIC.

UN QUESTIONNEMENT SUR LES COMPETENCES

Dans cette perspective surgit un premier questionnement centré sur les compétences :

- Quelles compétences minimales relatives au domaine des TIC devons-nous développer en tant qu'enseignants non-spécialistes pour assurer cette guidance avec efficience ?

- Que doit connaître et savoir-faire un enseignant-chercheur de sciences de l'éducation pour alimenter à des fins pédagogiques, ses pages personnelles sur le serveur de la filière ?

- Comment et dans quelles conditions acquérir les connaissances nécessaires ?

- Comment une formation des enseignants peut-elle prendre en considération les représentations sociales à l'égard de ces techniques, les manifestations de la pensée magique, et à côté des immenses possibilités de ces techniques, leurs limites ?

- Comment peut être pris en compte le lien entre Internet et l'autodidaxie ?

Certes d'aucuns pourront apporter des réponses à ces interrogations qu'ils jugeront d'une grande naïveté. Mais je souhaiterais risquer quelques hypothèses pour contribuer au débat.

Prendre la formation aux TIC comme objet peut faire penser que nous serions en mesure d'expliciter une sorte de référentiel de compétences. Laissons de côté la question relative au contenu et à l'extension du champ des TIC. En ce qui nous concerne, il apparaît nécessaire d'être capable de :

- se servir d'une boîte aux lettres électronique,

- utiliser des accès à des sites WEB et à des bases de données,

- utiliser les moteurs de recherche pour trouver une information par un chemin du réseau de réseaux,

- concevoir, organiser et mettre en �uvre un dispositif pédagogique s'appuyant sur les fonctionnalités de ces TIC, qui permette à chaque étudiant d'entrer en contact, d'une part avec l'enseignant responsable du séminaire, d'autre part avec les autres étudiants du séminaire.

- concevoir des documents pédagogiques qui puissent être mis à la disposition des étudiants sur le serveur de la filière.

Par ailleurs, le niveau de développement des capacités précédentes doit être suffisant pour permettre :

- former des étudiants à un usage rationnel du courrier électronique,

- former des étudiants à un usage rationnel du WEB et des moteurs de recherche pour se documenter.

En particulier un usage rationnel semble requérir pour l'étudiant de savoir :

- de quelles informations, il a besoin

- où et comment il peut le plus probablement les trouver

- les lire, les comprendre, les gérer

- les critiquer et évaluer leur adéquation au besoin

- les intégrer éventuellement à sa propre formation.

A l'évidence, cette formation de l'étudiant ne relève pas de la seule relation qu'il entretient avec l'enseignant dans le cadre du séminaire. Bien d'autres situations vécues par l'étudiant lui offrent l'occasion de rencontrer les outils informatiques et d'en faire usage. Par exemple, une unité d'enseignement de licence contient un cours d'initiation aux outils informatiques de base dont la visée prioritaire est d'aider les étudiants novices à acquérir quelques notions et techniques au travers de la pratique du traitement de textes et de tableaux ( tableur). A cela s'ajoute une contrainte à laquelle tous les étudiants sont soumis : celle de rendre leurs dossiers ou leurs mémoires sous forme dactylographiée qui conduit à faire de plus en plus usage du traitement de texte informatique à la place de la machine à écrire. Cette obligation qui s'est imposée au fil des années, a introduit, à sa façon, la nécessité d'une nouvelle compétence relative à la dactylographie ou au traitement de texte informatique. Le courrier électronique et la recherche sur le WEB passeront peut-être par le même chemin. Toutefois à ce jour, nombre de nos étudiants avec lesquels nous travaillons, restent totalement démunis face aux TIC, privés de toute connaissance technique requise par l'usage même minimal de l'ordinateur et chargés de représentations mentales propres à les maintenir éloignés de cet outil et de ces usages.

Un usage rationnel du courrier électronique par l'étudiant consisterait alors à communiquer par écrit avec l'enseignant en réduisant au mieux une forme d'exigence individualiste que pourrait laisser déployer ce mode de relation. La prise de conscience de l'appartenance à un réseau de communication en constitue une condition nécessaire. Pratiquement, cela conduit à rédiger des textes écrits sous forme contractée, comportant des questions rapidement identifiables et pouvant se satisfaire de réponses courtes.

À côté de cela, les logiciels de communication permettent de joindre des documents annexes. Techniquement, l'expéditeur doit chercher à anticiper les problèmes auxquels le destinataire peut être confronté lors de l'accès aux documents joints. Au moins deux variables interviennent : la taille, traduite en nombre d'octets, et le type qui va déterminer un logiciel adapté à son ouverture.

La fonction première du courrier électronique était d'échanger rapidement des lettres légères et non des documents lourds. Or cette fonction complémentaire se paie parfois par des problèmes de transports qui bloquent parfois l'accès même à la boîte aux lettres sur le serveur.

Enfin l'architecture arborescente organisant l'ensemble des fichiers et des dossiers, est aussi à prendre en considération. Il importe que l'utilisateur ait une représentation mentale pertinente de cette organisation afin qu'il puisse retrouver un fichier joint à un courrier. J'ai souvent observé la situation où l'utilisateur accédait au courrier déposé sur le serveur mais se trouvait bloquer par ce qu'il lui apparaissait comme une disparition soudaine du fichier annexé transféré dans un dossier prévu à cet effet mais dont il ignorait le lieu ou même l'existence. Accéder à ce document suppose savoir remonter un chemin et oser le faire, c'est aussi vaincre la peur de violer l'intimité mystérieuse de l'ordinateur et celle de commettre l'irréparable erreur qui va endommager l'ordinateur. Le recours aux métaphores iconiques des systèmes d'exploitation usueln'évite nullement l'affrontement aux objets virtuels et immatériels et la sollicitation de l'abstraction et des opérations formelles.

Nous pourrions faire des remarques de même nature quant à l'usage rationnel du WEB. D'une part, il paraît indispensable d'avoir une connaissance des formes sous lesquelles les informations s'affichent à l'écran de l'ordinateur, c'est à dire : texte, son, image fixe, image animée, pour disposer d'une grille d'aide à la lecture et la capture de ces informations. D'autre part, l'acquisition de connaissances relatives à quelques moteurs de recherche et à leur fonctionnement apparent semble une condition de l'efficience d'une investigation documentaire.

Pour achever ce questionnement sur les compétences, nous souhaiterions pointer une compétence, certes non limitée au champ qui nous préoccupe, mais importante. Paradoxalement le recours à une pratique qui conduit à isoler l'individu face à un écran d'ordinateur, s'accompagne d'une plus grande capacité à travailler en équipe au travers des réseaux. Dans ce cadre, cette capacité à coopérer ouvre la possibilité de s'enrichir de l'expérience d'autrui tout en s'imprégnant d'une culture technologique. Comment cette compétence sociale peut-elle être développée dans le cadre d'une formation ?

 

UN QUESTIONNEMENT SUR LES LIMITES DES TIC

C'est principalement à partir d'un état de connaissance relative aux TIC voisin d'un illettrisme technologique que l'acquisition de ces compétences est à réaliser. Force est de constater au travers de divers échanges, entretiens spontanés ou enquêtes que nous avons réalisés au sein de l'institut auprès des collègues et des étudiants, que cet illettrisme technologique s'accompagne d'une prédominance de la pensée magique. Pour résumer schématiquement : certes il faut acquérir des compétences pour faire usage des multimédias informatiques, mais la machine informatique peut tout faire de façon autonome. Cette conception du fonctionnement magique en fait un instrument tout puissant et il devient très difficile d'en comprendre et d'en accepter les limites et les aléas des pannes.

Dans le même temps, il s'agit de mesurer les risques du tout informatique. Une banale panne d'électricité ou un engorgement du serveur, ou encore une charge excessive d'octets à transporter dans les tuyaux créent rapidement des obstacles qui dévalorisent la technique. Il y a donc à considérer l'usage des TIC comme une autre possibilité pour informer et communiquer qui complète ou renforce celles habituellement pratiquées avec le support papier des polycopiés ou des courriers, le livre, le téléphone ou la télécopie, le rétroprojecteur ou la vidéo. Dans notre Département, le recours au serveur de filière ne devrait pas exclure d'emblée l'affichage traditionnel pour signaler l'absence d'un collègue ou le report d'un cours.

Renoncer à la perspective du tout informatique ne se fonde pas seulement sur des arguments techniques ou matériels. Il y a des choix à opérer parmi les techniques qui sont mises à notre disposition. La capacité à cerner la pertinence de l'outil au regard de telle ou telle utilisation pédagogique au service de telle ou telle situation de recherche est alors sollicitée. Comment donc acquérir cette compétence dans ce domaine particulier des TIC informatiques ? D'une certaine façon, c'est sans doute cette même capacité qui est mise à l'épreuve dans la lecture critique des informations reçues massivement sur les écrans : le savoir lire les écrans se distingue vraisemblablement du savoir lire un livre par l'organisation des informations et par le recours à une grande variété des registres sémiotiques. Comment distinguer l'essentiel du secondaire dans cette foison d'informations textuelles, iconiques fixes ou animées, sonores ?

Revenons à la recherche de l'information. L'usage d'un moteur de recherche ne se limite pas à donner un mot ou plusieurs mots puis lancer la procédure. Afin que le novice ne se perde pas dans le dédale des ressources mises à sa disposition par les réseaux de réseaux, il s'avère nécessaire de le guider ou peut-être seulement de l'accompagner, le conseiller jusqu'à ce que son degré d'autonomie soit suffisant pour qu'il puisse naviguer seul. Le pari est alors de penser qu'à un niveau suffisant d'autonomie l'usager développe sa compétence par lui-même en utilisant les ressources d'aide disponible dans les réseaux. Quand, où et comment organiser des séquences de travail permettant cet accompagnement personnalisé ? Comment gérer le temps imparti à cette phase de la formation ?

Cette question de gestion du temps se retrouve aussi dans la gestion des échanges entre les étudiants et l'enseignant au travers du courrier électronique. Par quel contrat pédagogique peut-on éviter l'engorgement et la saturation ?

Enfin un exemple à propos des contenus d'information mis à disposition sur un serveur permettra d'illustrer plus concrètement ce questionnement sur les limites.

Dans le cadre de mon séminaire en maîtrise un étudiant dont la thématique du mémoire intègre des questions relatives aux TIC et à l'usage de serveur, a élaboré une page personnelle opérationnalisant ponctuellement le projet de mise à disposition d'informations aux étudiants du groupe. Porté par son intérêt pour ce dispositif, sa compétence technique l'a conduit à anticiper ce qui pourrait être proposé sur le serveur de filière. Ainsi a-t-il pris l'initiative de mettre en page des synthèses de cours à côté d'une présentation des sciences de l'éducation. Surgirent alors des questions relatives à ces textes quand il sollicita l'avis des collègues dont ils suivaient les cours. Qui en contrôle alors le contenu ? Qui en assume la responsabilité ? Certes nous sommes tenté de rapprocher cette diffusion de celle de cours assurée par l'associationdes étudiants, sur la base des notes prises ou d'enregistrement au magnétophone et des synthèses réalisées par des étudiants volontaires et coopératifs. Pourtant à ce stade, nous avons pris le parti de ne pas autoriser cette diffusion. La résistance s'est en partie fondée sur la crainte suscitée par une diffusion d'un texte correspondant à une réécriture d'un propos tenu dans le contexte particulier d'un cours. Propos interprété dont nous n'avions plus le contrôle, mais dont nous devions assumer la responsabilité d'une certaine manière.

Certes cette question n'est nullement étrangère au questionnement relatif à la propriété intellectuelle. Mais elle révèle encore une limite à l'usage des possibilités offertes par les TIC. L'obstacle ainsi posé est sans doute d'ordre culturel.

Questionner les compétences requises par leur emploi dans ce contexte universitaire, questionner leurs limites tant celles d'ordre technologique que celles d'ordre psychologique ou culturel, sans pour autant que ce questionnement ne s'érige en obstacle au faire, à l'usage des TIC, nous semblent la voie la plus sûre pour profiter pleinement des potentialités de ces TIC à nous rendre plus efficients dans notre pratique professionnelle.

 

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