Apprendre à tous les âges de la vie

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Jean-Claude Régnier

Maître de conférences en sciences de l'éducation

Département des Sciences de l'éducation de l'Université Lumière Lyon2 (France)

Pages Web : http://jean-claude.regnier.pagesperso-orange.fr/

Mél : regnierj@univ-lyon2.fr

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Apprendre à tous les âges de la vie c'est possible mais ...

Pour le sujet, l'apprenant, l'assertion postule qu'il n'est jamais vraiment trop tard pour acquérir de nouvelles connaissances et développer ses compétences. Tandis que pour l'éducateur, elle est avant tout l'expression d'une croyance philosophique fondée sur le postulat de l'éducabilité de l'être humain. Elle est une expression de l'optimisme et de la générosité des Hommes de bonne volonté. Elle est la source à laquelle l'éducateur puise pour poursuivre ses actions de médiateur d'apprentissage malgré la multitude des déceptions que le spectacle quotidien offre par les actes de barbarie organisée qui continuent à être perpétrés.

Chacun de nous pourra alors trouver un exemple illustrant la possibilité d'un apprentissage à tout moment de la vie: en observant ma propre vie d'universitaire, je me sens périodiquement en train d'affronter de nouvelles connaissances que je dois apprendre; j'ai un collègue qui a commencé à étudier la musique à plus de 50 ans; je connais une femme qui a commencé l'apprentissage du judo à plus 60 ans...

Apprendre à tous les âges de la vie c'est souhaitable mais...

Pour le sujet, elle postule l'expression de la modifiabilité cognitive, affective et psycho-motrice permanente qui constitue un processus entretenu et développé par l'activité d'apprendre elle-même. Qui plus est, l'accroissement des connaissances utiles à la vie actuelle quotidienne même incite à souhaiter que chacun puisse poursuivre un apprentissage à tout moment de sa vie.

Apprendre à tous les âges de la vie c'est nécessaire mais...

Pour le sujet, elle postule qu'en raison de l'accroissement et de l'évolution des connaissances utiles, il convient de considérer que ces connaissances qui ne demeurent que provisoirement utiles, ne peuvent être acquises seulement durant les premières années de la vie. Partant de cette perspective, il devient une nécessité d'apprendre tout au long de la vie, c'est à dire de la naissance sinon de la conception à l'instant final.

Apprendre à tous les âges de la vie c'est probable mais ...

Pour le sujet, elle postule que l'apprentissage est un événement qui se situe entre deux événements extrêmes "on en n'apprend tous les jours" et "c'est trop tard, je suis trop vieux pour apprendre" que nous pouvons entendre ça et là. Un événement, c'est ce qui a priori peut être ou non réalisé. C'est seulement a posteriori , après-coup, que nous pouvons le savoir.

Qu'est-ce qu'apprendre ?

Cependant évoquer l'idée d'apprendre nécessite une précision importante sans laquelle le consensus réalisé autour du apprendre à tous les âges de la vie risque fort d'être fondé sur la polysémie du verbe apprendre. Nous pouvons apprendre qu'il va pleuvoir demain ou qu'un cinéaste célèbre est décédé. Nous pouvons apprendre à résoudre une équation du second degré à une inconnue, à conduire, à jouer du piano, à nous documenter, à aimer, à être ou à vivre. Nous pouvons apprendre une poésie, les tables de multiplication, une leçon, les mathématiques, la musique ou l'art de vivre. Nous pouvons même selon certaines perspectives pédagogiques apprendre à apprendre, faire apprendre ou encore apprendre quelque chose à quelqu'un.

Comment peut-on maîtriser une telle diversité d'emplois et d'acceptions ? Du point de vue du psychologue : s'agit-il du même processus cognitif à chaque fois ? quelles sont les fonctions cognitives mobilisées ? Du point de vue du sociologue : s'agit-il des mêmes déterminants sociaux en jeu à chaque fois ? Nous pourrions ainsi poursuivre le questionnement. Il apparaît qu'un fond de questionnement commun s'impose, ainsi évoquer apprendre c'est s'obliger à préciser:

 - un objet , apprendre quoi ?

 - une fin, pour quoi ? pour qui ?

 - une cause, pourquoi ?

 - un contexte, dans quelles circonstances ? à l'occasion de quoi ? dans quel contexte?

 - un moyen, comment ? avec quoi ? avec qui ?

 - un état du sujet, à partir de quel état ? avec quels acquis ?

Nous pourrions ajouter bien d'autres expressions telles que on apprend par c�ur, par jeu, par expérience, par tâtonnement, par observation, par imitation, qui caractérisent le processus apprendre.

Il paraît aussi prudent de prendre en compte la prégnance des modèles scolaire ou professionnel de l'apprentissage. Ainsi les réponses possibles au questionnement ci-dessus doivent dépasser ces deux cadres. Cela peut conduire à ce qu'un grand-père apprenne l'usage de l'informatique avec l'aide de sa petite fille dans le cadre familial ou une mère apprenne l'usage d'une carte bancaire, apprenne à compléter une feuille de sécurité sociale ou apprenne à établir une déclaration d'impôts avec l'aide de son fils.

Il y a aussi lieu de considérer l'état physique, neurologique et psychique du sujet qui se met dans le projet d'apprendre. Un texte émouvant du philosophe Olivier Reboul en constitue un témoignage à plusieurs titres. Nous rapportons quelques extraits du dialogue qu'il a construit lui-même:

" O - Après avoir écrit Qu'est-ce qu'apprendre ?, vous avez choisi de réfléchir sur apprendre à mourir . Pourquoi ce thème ?

R - Parce que, professeur en pleine activité, j'ai été frappé par une maladie très grave, qui m'a naturellement fait réfléchir sur la mort. J'en ai conclu que mes études précédentes restaient insuffisantes. Quand on a de grandes chances de mourir, on se dit qu'apprendre à mourir est aussi important qu'apprendre à vivre.(...) Apprendre à vivre, c'est s'efforcer d'accroître ses pouvoirs (...) Chaque homme est plus ou moins doué mais, toujours, c'est en apprenant qu'il forme ses dons; sinon, il ne serait pas homme. Or, il en va tout autrement de l'apprendre à mourir qui est en quelque sorte, un désapprendre.(...) le bébé qui fait ses dents apprend (...) au sens où il découvre, d'ailleurs dans la douleur, une puissance nouvelle. L'homme d'âge qui perd ses dents, apprend lui aussi quelque chose mais les deux acquis sont opposés et irréversibles. (...) Apprendre à mourir, c'est avant tout apprendre à être heureux, heureux de ce qui nous reste et qui n'en est que plus précieux." Il conclut son texte en disant " qu'il existe un apprendre à mourir au même titre que l'apprendre à être, but de l'éducation, (qui) a les mêmes caractères...mais tous inversés. On apprend progressivement à perdre tous ses pouvoirs, à ne plus être. (Mais cela) peut établir en nous une lucidité, une réconciliation, une joie. Apprendre à mourir...pour arracher à la mort sa victoire!"

Dans la perspective de l'apprentissage permanent, nous y voyons aussi une modification du paradigme durkheimien de l'éducation. De façon très succincte, il nous semble que l'éducation ne se limite plus à l'action des générations adultes sur les jeunes générations mais s'étend aux actions réciproques inter-sub-culturelles que les générations exercent les unes sur les autres.

Enfin Apprendre à tous les âges de la vie n'échappe pas au postulat qu'Apprendre ne peut ni se décréter ni être imposé à quiconque. Apprendre se réalise à l'initiative du sujet selon des stratégies propres qu'il peut toutefois modifier. Apprendre est difficile et requiert le courage de tous les commencements mais des aides extérieures. Dans l'apprentissage, il est impossible de séparer méthode et contenu, cognitif et affectif, individuel et social. Apprendre, c'est construire l'humanité dans l'homme, accéder à l'universalité de la culture qui s'ébauche quand l'homme refuse de soumettre l'autre mais décide avec l'autre d'échanger sans violence.

Cette perspective du Apprendre à tous les âges de la vie peut contribuer à donner un sens aux apprentissages si nous entendons par là : finaliser les apprentissages scolaires ou encore donner un sens aux acquis scolaires pour que ceux-ci deviennent des apprentissages, car apprendre peut aussi être compris en tant que processus qui conduit à donner un sens à un objet qui n'en avait pas auparavant pour le sujet . Selon notre acception, apprendre est acquérir et comprendre. Et alors une des fins peut être entendue comme acquérir des connaissances à l'école qui constitueront des outils intellectuels permettant à l'individu d'acquérir par la suite par lui-même d'autres connaissances en dehors de l'école. L'idée n'est ni neuve ni même originale mais il nous paraît de la réaffirmer.

Ainsi nous percevons combien l'auto-formation est la notion clé sur laquelle se fonde l'idée d'Apprendre à tous les âges de la vie et combien l'école a un rôle important à jouer dans l'aide à l'auto-formation.

 Notes :

1 A partir d'une table ronde organisée par l'Université Rennes et la Chambre Départementale des Métiers de l'Ille & Vilaine dans le cadre de l'université d'automne sur le thème Donner du sens aux apprentissages, Aider à l'autoformation. Participants : Jean Corre, Pierre-Jean Duval, Christian Leray, Gaston Pineau, Jean-Claude Régnier, Walter Rinaldi. Animateur : Stéphane Besnier, journaliste TV-Rennes

2Apprendre à mourir in Éducation et philosophie, écrits en l'honneur d'Olivier Reboul, PUF 1993 , pp 49-57

3 inspirés de la charte de l'association lyonnaise APPRENDRE aujourd'hui dissoute

4 ce point de vue est développé par Michel Develay dans l'ouvrage de l'apprentissage à l'enseignement ESF 1992 pp119-120 : "Apprendre, c'est trouver du sens dans une situation qui n'en possède pas forcément au départ. (...) Tout apprentissage est recherche de sens."

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